mardi 12 janvier 2016

Voici comment la Chine tente de récrire les règles de l'internet mondial


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  CHINE INTERNET

INTERNET - Dans une petite ville quadrillée par les canaux, les leaders chinois ont tenté, début décembre, de repenser l’internet du futur.
Du mercredi 16 au vendredi 18 décembre, la cité orientale de Wuzhen a accueilli la deuxième conférence internationale de l’internet, dont le président chinois, Xi Jinping, a prononcé le discours inaugural. Cette conférence procède d’une volonté ambitieuse de la Chine de redéfinir les débats sur la cybersécurité, la souveraineté nationale et la censure.
Ces dernières années, les dirigeants chinois ont mis en avant l’idée de “cybersouveraineté”, selon laquelle les autorités doivent pouvoir exercer un contrôle indépendant sur les contenus en ligne à l’intérieur de leurs frontières. Si plusieurs pays censurent des contenus qu’ils jugent illégaux, en Chine, où l’accès aux géants du Net (Google, Facebook, YouTube, Twitter, Instagram, etc.) est interdit, la souveraineté nationale revêt une tout autre importance.
Fondateur de la société d’études sinophiles Danwei.com et analyste de longue date des réseaux sociaux chinois, Jeremy Goldkorn est l’auteur d’une série d’articles sur la cybersouveraineté, publiés dans le China Story Yearbook. Il explique au Huffington Post les effets potentiels d’une cybersouveraineté à la chinoise.
Quand et comment les autorités chinoises ont-elles commencé à employer les expressions “cybersouveraineté” et “souveraineté de l’internet”?
Le concept de “souveraineté de l’internet” a été utilisé pour la première fois bien avant l’élection de Xi Jinping et du "tsar chinois de l’internet", Lu Wei, directeur d’un groupe de réflexion stratégique sur la cybersécurité réunissant les principaux dirigeants chinois. Il figurait dans le livre blanc publié en 2010, mais il a commencé à être largement utilisé après l’accession au pouvoir du président et la prise de fonction de Lu Wei. Un nouveau titre – administrateur de l’internet chinois – a d’ailleurs été spécifiquement inventé pour Lu, et une grande partie du contrôle exercé sur internet s’effectue au sein d’une organisation dans un but spécifique.
Les expressions “souveraineté de l’internet” et “cybersouveraineté” ont permis au gouvernement de revendiquer une mainmise totale sur tout ce qui se passe sur le web chinois et d’aborder plus librement le sujet de la censure. Alors qu’ils tentaient jusqu’alors de justifier cette censure en conférence de presse, ils affichent désormais une assurance renouvelée et une quasi forme de nationalisme, légitimant le contrôle opéré sur internet comme la conséquence de leur statut de nation forte.
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La cybersouveraineté a rapidement pris de l’ampleur sous la présidence de Xi Jinping

En quoi ce regain d’assurance est-il imputable aux conséquences des révélations d’Edward Snowden et à la reconnaissance de la position dominante de la Chine en matière de négociations avec les principaux acteurs de la Silicon Valley?

Ces deux facteurs sont significatifs. Le nom d’Edward Snowden est cité dans pratiquement toutes les discussions des autorités chinoises sur l’internet, qu’il s’agisse de cybersécurité, de piratage ou de censure. Je dirais donc que c’est un élément très important.
Mais la vigueur du secteur de l’internet en Chine et le fait que les géants de la Silicon Valley veuillent tous s’y implanter sont autant d’arguments qui jouent en sa faveur. La conférence internationale sur internet attire les poids lourds de la Silicon Valley. Quand il est allé en visite officielle aux États-Unis, Xi Jinping a assisté à une conférence avec le Pdg de Facebook, Mark Zuckerberg, à Seattle. Tous les participants semblaient être subordonnés à la Chine.
Le parti communiste chinois a également peur qu’internet et les réseaux sociaux, s’ils ne sont pas contrôlés, menacent l’emprise des autorités sur le pays. L’accident ferroviaire de Wenzhou, en juillet 2011, dont la version officielle, débordée par les réseaux sociaux, n’a pas du tout convaincu, marque un tournant décisif. Cela a renforcé l’idée que l’internet libre constituait un véritable danger.
Depuis cet accident, les stars des réseaux sociaux ont été sévèrement réprimées et les utilisateurs du pendant chinois de Twitter, Weibo, l’ont déserté au profit de l’application de messagerie instantanée WeChat. Ces changements ont-ils apaisé les craintes du gouvernement?
Difficile de dire quel élément a prévalu, mais il est certain que la pression exercée sur les “Big V” (les stars de Weibo qui réunissaient un grand nombre d’abonnés) a été effroyable. Je pense en particulier à l’arrestation de Charles Xue (un bloggeur sino-américain connu pour son franc-parler), humilié à la télévision à une heure de grande écoute. À partir de là, tout est devenu très, très calme sur Weibo.
En fait, plusieurs événements ont eu lieu en même temps: Lu a dîné avec un groupe de “Big V”, Charles Xue a été arrêté, et la télé nationale a diffusé une interview de Pan Shiyi (célèbre promoteur immobilier et membre des Big V) où on le voyait bafouiller. Le message était clair. En l’espace de quelques mois, ils ont intimidé l’ensemble des Big V et tous leurs abonnés. La migration vers WeChat, dont la capacité de diffusion est nettement plus restreinte, ne s’est pas fait attendre. L’info ne tourne plus aussi rapidement.
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Baidu, le plus gros moteur de recherche chinois, achète des entreprises dans des pays développés tels que les États-Unis, où il possède un laboratoire d’intelligence artificielle dans la Silicon Valley.
Vous avez raconté la façon dont trois des plus grandes entreprises chinoises du numérique (Baidu, Alibaba et Tencent, alias BAT) tentent de s’exporter. Où en sont-elles?
D’après ce que j’ai compris, aucune d’elles n’a rencontré un grand succès. Tencent tente de lancer WeChat en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient, où l’application connaît un bon accueil. Tencent, Alibaba et Baidu achètent des entreprises dans des pays développés tels que les États-Unis, ce qui est une façon de monter en puissance. Baidu possède son laboratoire d’intelligence artificielle aux États-Unis, mais je ne suis pas certain de bien saisir l’objectif commercial d’une telle démarche. Baidu est également présent au Brésil et au Japon, mais son moteur de recherche ne semble pas faire des étincelles dans ces pays. Quant au poids lourd chinois du smartphone, Xiaomi, il tente sa chance en Inde.
Je pense qu’ils ont autant de chances à l’étranger que les entreprises technologiques américaines en ont en Chine. Rien n’est immuable, mais je crois que ça ne sera pas facile. Ce qui réussit en Chine n’est pas forcément transposable ailleurs, parce qu’il faut compter ici avec la culture et les habitudes des usagers chinois, et l’assentiment indispensable des autorités. Selon moi, les filiales des compagnies chinoises auront du mal à s’imposer, notamment sur les marchés développés, en raison de la méfiance généralisée à l’égard de l’internet chinois.
On a récemment assisté à un débat de plus en plus animé autour du “Great Firewall”, le système de censure de l’internet. Au-delà des problèmes de liberté d’expression, on le soupçonne d’être une forme de protectionnisme des opérateurs internet locaux. Voyez-vous un moyen pour les États-Unis de faire levier dans une perspective de libre-échange?
Les FAI et le gouvernement américains pourraient, par le biais de l’OMC ou d’une autre plateforme de ce type, exercer une pression en arguant qu’il est contraire aux droits de l’Homme d’imposer des restrictions et des pare-feu aux entreprises étrangères implantées en Chine. Mais, jusqu’ici, ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. C’est d’autant plus difficile que lesdites entreprises tentent d’obtenir des parts du marché chinois, comme Google, qui a installé une filiale dans la zone franche de Shanghai.
On voit difficilement comment on pourrait faire pression sur le gouvernement chinois qui, dans certains domaines, n’y est absolument pas sensible. Il ne va pas changer brusquement d’avis sur la censure.
Cette interview, condensée par souci de clarté, a été publiée sur le Huffington Post américain. Elle a été traduite en français par Catherine Biros pour Fast for Word.


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