vendredi 3 juillet 2015

Mythes et réalités de l’internet des objets


Frédéric Cavazza 
 
Je ne sais pas si vous aviez remarqué, mais depuis l’année dernière il y a un consensus autour du fait que l’internet des objets est une lame de fond qui va entièrement changer notre quotidien. Je bous intérieurement à chaque fois que j’attends tel ou tel « spécialiste » nous ressortir toujours les mêmes statistiques : « 50 milliards d’objets connectés en 2020« , « 15 objets connectés au m2« … Le problème ne sont pas les chiffres en eux-mêmes, mais la façon dont ils nous sont présentés et surtout les conclusions très alarmistes ou débordant d’optimisme qu’on en tire : c’est l’une ou l’autre, mais il est extrêmement rare de trouver des avis modérés.
IoT-world
Pour paraphraser la célèbre série TV des années 90 : la vérité est ailleurs. Je vous propose de faire le point sur l’internet des objets avec une approche la plus réaliste et pragmatique possible.

Il n’y aura pas 50 milliards d’objets connectés, mais 50 milliards de capteurs

Avec le succès du lancement de l’Apple Watch, près de 3M d’unités en pré-commandes, tout le monde y va de sa projection (à la louche) sur les ventes de wearables dans les prochaines années. Le problème est que ces projections reposent généralement sur des estimations liées à l’internet des objets, mais qui ne font pas référence aux objets connectés. Les 30 ou 50 milliards d’unités déployés en 2020 ne seront pas des wearables ou cafetières connectées, mais des sondes passives (puces RFID, capteurs volumétriques, senseurs…). Il a fallu 7 ans pour arriver à écouler 2 milliards de smartphones, vous pensez sérieusement qu’en 5 ans Apple va vendre des dizaines de milliards de sa montre connectée ?
50 milliards d’unités d’ici à 2020 peut vous sembler être une projection très optimiste, mais vous devez avoir deux choses en tête : une étiquette RFID coûte moins d’0,1$ à fabriquer en Chine (allez donc vérifier sur Alibaba), et leur utilisation à grande échelle a commencé il y a plusieurs années.
Fournisseurs d'étiquettes RFID sur Alibaba
Fournisseurs d’étiquettes RFID sur Alibaba
Moralité : 99% des objets connectés seront des capteurs passifs, pas des montres connectés à 650 €.

L’internet des objets n’est pas une révolution

Chaque nouvel article publié sur l’internet des objets est une occasion pour surenchérir sur l’incroyable / immense / incommensurable potentiel de l’internet des objets. Grossière erreur, car il n’est pas ici question de potentiel à venir, mais plutôt de potentiel déjà réalisé. Les premiers travaux de recherche sur ce sujet remontent aux années 90, et les premières applications concrètes dans l’industrie ont débuté quelques années plus tard. En 2002, il y a 13 ans, l’institut Gartner avait publié un rapport sur le sujet (A World of Smart Objects: The Role of Auto-Identification Technologies).
L'internet des objets en 2002 selon Gartner
L’internet des objets en 2002 selon Gartner
L’utilisation de capteurs et puces RFID dans une optique de suivi ou d’exploitation industrielle n’est pas neuve, elle a même débuté il y a 10 ans chez nous : Paris trace la vie de ses arbres grâce au RFID. Je ne me risquerais pas à vous fournir une estimation de la taille de l’internet des objets aujourd’hui (les chiffres divergent d’une source à une autre), mais elle est déjà supérieure à 5 milliards d’unités.
Moralité : l’internet des objets est l’évolution d’un processus de modernisation entamé au siècle dernier et qui va se prolonger pendant de nombreuses années, à mesure que les technologies progressent.

Les objets connectés ne sont pas directement reliés à Internet

Quand on nous parle des objets connectés, notamment dans la presse grand public, les rédacteurs et illustrateurs oublient généralement un détail important : les objets « connectés » ne sont pas directement reliés à internet dans la mesure où ils ne disposent pas du tout des mêmes fonctions de communication qu’un smartphone. Les bracelets qui mesurent vos pas, les brosses à dents et autres ampoules connectées utilisent généralement Bluetooth pour échanger des données avec un smartphone. A défaut, ils utilisent une base-relai qui est elle-même reliée à l’internet. Il en va de même pour les capteurs qui exploitent généralement des réseaux parallèles comme celui de Sigfox.
Certaines smartwatches sont maintenant capables de se connecter via Wifi, mais il faut nécessairement que le smartphone soit à proximité. Le problème est qu’une puce Wifi augmente le prix de revient et surtout diminue drastiquement l’autonomie des objets connectés. Les stations météo comme celle commercialisée par Netatmo sont connectées à votre box ou point d’accès Wifi, mais elles sont branchées en permanence sur une prise secteur (elles se rapprochent plutôt des mini-ordinateurs).
Moralité : il n’y a qu’une minorité d’objets directement connectés à l’internet. La très grande majorité utilise un relais (smartphone ou borne).

Il n’y a pas des trilliards de données disponibles

A chaque fois que l’on essaye de nous expliquer / vendre le concept de big data, sont invoqués les pétaoctets de données générées par les objets connectés. Ces objets sont effectivement bardés de capteurs qui mesurent tout un tas de choses, mais les données sont généralement jalousement gardées par les constructeurs qui en contrôlent l’accès. Pour vous en convaincre, il suffit de lire les conditions générales d’utilisation des bracelets Jawbone ou de l’Apple Watch.
Certes, certains acceptent de jouer le jeu et de lancer des initiatives d’open data avec des données anonymisées, mais ceci n’est valable que tant qu’ils sont bénéficiaires (leur générosité ne tient que sur leur capacité à trouver des sources de revenus annexes).
Moralité : il y a bien des trilliards de données, mais elles ne sont pas forcément disponibles, il faut négocier ou payer pour y avoir accès (Data as a Service).

Il existe de nombreux standards

Les débuts des objets connectés ont été laborieux, car ils s’apparentaient à la ruée vers l’Ouest (cf. La bataille des standards nuit-elle à l’adoption de l’internet des objets). Nous sommes maintenant quasiment à la mi-2015, et les choses ont changé, car il existe de nombreuses initiatives de standardisation : Allseen Alliance, Industrial Internet Consortium, Open Interconnect, Thread, IPSO Alliance, IEEE… Derrière ces initiatives, on retrouve les géants du web, certains étant même partenaires de plusieurs d’entre-elles. L’internet des objets est un vaste sujet, et il serait illusoire de penser qu’un seul standard va couvrir l’ensemble des besoins et usages.
Moralité : la standardisation est en cours, encore faut-il stabiliser les usages.

Il n’y a pas de problème de sécurité ou de confidentialité

Dernier grand poncif exploité par les journalistes en quête de clics faciles : les problèmes de sécurisation et de respect de la confidentialité. Pour résumer une longue explication : les objets connectés ne sont pas moins ou plus exposés que les ordinateurs traditionnels, ils sont simplement moins bien paramétrés. C’est en substance ce que nous révèle ces eux études : HP tests 10 popular IoT devices, most raise privacy concerns et A Hacker’s-Eye View of the Internet of Things.
Moralité : le problème n’est pas lié à la sécurisation des objets connectés, mais au fait que les options par défaut sont utilisées dans la majeure partie des cas.

Au final, l’internet des objets n’est pas réellement celui qu’on essaye de vous faire croire. Comme toujours, ce sont les marchands de pioches qui s’enrichissent et non les pionniers. Soyez donc vigilants par rapport à ce que vous lisez à droite ou à gauche, car il y a encore beaucoup trop d’approximitations.

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